Le monde existe-t-il vraiment ?

Wilson, du film "Seul au monde"
Wilson, du film "Seul au monde"

Un jour, lors d’une conférence que je prononçais à l’université de Fullerton, en Californie, un étudiant m’a demandé de donner une définition simple et brève de la réalité. J’ai réfléchi un moment et je lui ai répondu : « La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire. » — Philip K. Dick

Qui n’a jamais eu l’impression d’être seul au monde ? En poussant au bout de ses conséquences logiques cette idée, on en arrive à la possibilité d’être effectivement le seul être doué de conscience au monde. Les philosophes appellent cette théorie solipsisme (du latin solus (seul) et ipse (même, en personne)). Quelque soit la manière dont on tourne la question, on ne peut pas démontrer que le solipsisme est faux. Ce qu’on voit pourrait être un rêve, ou une illusion. Les autres pourraient être des constructions de son propre esprit. À partir du moment où on ne fait plus confiance à son propre esprit, et où on ne croit plus qu’il nous transmet des perceptions d’un monde extérieur, le monde entier peut être vu comme un gigantesque rêve.

Bien entendu, cette hypothèse parait invraisemblable, voire même saugrenue. Il reste qu’on ne peut pas complètement la rejeter.

En philosophie, l’impossibilité de connaître une réalité extérieure est déjà proposée par Gorgias de Léontium (IVe siècle avant J.-C. environ, contemporain de Platon), selon lequel : – rien n’existe ; – même si quelque chose existait, on ne pourrait pas le prouver ; – même si quelque chose existait et qu’on pouvait le prouver, on ne pourrait pas le communiquer à d’autres ; – même si quelque chose existait, qu’on pouvait le prouver, et le communiquer à d’autres, ça n’aurait aucun intérêt. Platon s’est beaucoup moqué de Gorgias, mais son argument, s’il est peu vraisemblable, semble irréfutable. À plusieurs siècles d’intervalle, la méthode du doute de Descartes peut très vite mener au solipsisme. Descartes lui même y échappe en invoquant Dieu (dans son Discours de la Méthode). On en trouve des traces tout au long de l’histoire de la philosophie.

La littérature et le cinéma ont, plus que les philosophes, exploré ce thème. Philip K. Dick est peut-être un de ceux qui ont le plus exploré la question de savoir ce qu’est la réalité ; dans Le monde qu’elle voulait, il développe une forme de solipsisme étonnante et, étrangement, assez optimiste. Une forme atténuée de la théorie consiste à penser que l’on est prisonnier d’une réalité virtuelle imposée de l’extérieur (bien réel, lui), ou de sa propre folie. C’est ce thème qu’explorent le film Matrix (A. et L. Wachowski), ou encore Le voyage gelé (P. K. Dick). Un dernier avatar consiste à croire que la réalité matérielle existe, mais que les autres gens ne sont pas réels, c’est-à-dire d’autres sujets conscients ; ce seraient des espèces robots, agissant comme s’ils étaient conscients, mais sans l’être (cette idée pose un certain nombre de problèmes).

Pour conjurer le solipsisme, il faut se persuader (sans faire appel à la raison seule) de l’existence d’une réalité extérieure, par exemple de la réalité d’autrui. Dans L’autre (Jorge Luis Borges) l’auteur raconte une rencontre avec lui-même, mais plusieurs dizaines d’années plus jeune. Pour convaincre son autre lui moins agé, il lui cite un vers de Hugo, qu’il reconnaît ne pas pouvoir avoir inventé. Dans Solaris (Stanislas Lem), le personnage principal se convainc qu’il n’est pas dans un monde imaginé en effectuant un calcul complexe avec un ordinateur, dont il imprime la réponse, puis à la main. Il compare alors les résultats. Leur identité le persuade qu’il n’est pas fou (hélas pour lui), n’ayant pas pu faire lui-même le calcul presque instantanément, aussi vite que l’ordinateur. Mais ces méthodes, si elles permettent de se forger une foi en la réalité, ne sont pas des démonstrations. En creusant, on peut toujours y trouver une faille, qui rend à nouveau possible à la réalité de s’échapper.

Evidemment, le fait que les solipsistes considèrent que les autres n’existent pas ne les encourage pas à défendre leur point de vue en société. On peut le regretter, et espérer que s’ils ont raison, l’un d’eux daignera un jour ou l’autre nous le démontrer.

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19 commentaires pour "Le monde existe-t-il vraiment ?"

  1. Gécé dit :

    Très intéressant, cet article ! Je doutais que ma manière de penser aurait pu avoir un nom, avant de tomber sur votre article … « Solipsisme » … Vraiment intéressant. Mais perturbant toutefois. Et vous-même ? Qu’en pensez-vous ?

  2. roger dit :

    c’est une reônse bien dit et je doute pas que ce personnage est une poète.

  3. roger dit :

    la réalité est une matière qui peut se transformer en trois figures :liquide, solide et gazeuse. mais tout dépand de votre esprit et votre croyance, si votre esprit est fort il serait capable de solidifier une réalité et en faire un chemin;et de même s’il n’est pas fort la réalité reste invisible bien qu’il soit visible comme le gaz.(même pour ce qui sont fort il existe les temps et les circonstances).moi un petit que je suis ,dans une circonstances ,déplorable ,et avec les lunettes de l’inconsistance,je disais: »la vie est un rêve donc la réalité est un corchemare qui s’éfface avant même de réveiller. » mais il est vraie qu’il éxsiste une réalité et même deux la réalité partiel, et la réalité absolu.

  4. redouane bens dit :

    Pour moi l’homme prend conscience de deux choses différentes, la première est la prise de conscience de sa propre existence qui se traduit par sa propre pensée ce qui nous ramène à « je pense donc j’existe » mais son pour autant nous dire à quel niveau ou de quelle manière on existe.
    La deuxième prise de conscience concerne le monde qui nous alentour qui se traduisent à travers les différentes informations qu’on récolte par le biais de nos sens, car si une personne venait à perdre tous ses sens il sera totalement détaché de son monde et il ne pourra plus prendre conscience de l’existence de ce dernier, alors on peut dire que c’est garce à ses informations qu’on est attachés au monde qu’on connaît.
    à ce stade on doit se demander si ses informations résultent tout simplement lors de notre frottement avec cette réalité, pour donner un exemple d’une personne qui met sa main dans de l’eau chaude, elle ressentira cette chaleur qui existe réellement, ou alors en réalité la chaleur et l’eau sont ne sont que des informations éjectées dans notre cerveau pour qu’on puisse les sentir et nous paraît réel, pour notre exemple l’eau et la chaleur n’existe pas en réalité, mais les informations qui arrivent au cerveau nous le font croire et bien sûr cela s’applique sur tous ce que nous connaissons.

  5. Mambalek dit :

    Enfin des propos sur le solipsisme qui ne semblent pas vouloir me remettre sur le droit chemin de l’illusion. Oui je suis solipsiste. Et si j’écris ici, c’est parce que je cherche toujours à mieux comprendre la vie. Objectif : le bonheur.

    Démontrer ? Avant de démontrer, il est nécessaire de fixer des règles de base, qui s’imposent comme des vérités premières, et qui ne sont pas démontrables. En géométrie, on appelle ça des axiomes. Exemple : par deux points distincts de l’espace, il passe une droite et une seule. Sans axiome, aucune démonstration n’est possible…

    Par contre, je constate que la science s’enlise dans les trous noirs et autres multivers pour tenter d’expliquer l’espace et le temps.

    Avec le solipsisme, l’espace n’est plus infini, les limites sont celles de mes sens. Problème réglé. Reste le temps… c’est encore pour moi un mystère. Des pistes dans le cinéma : « Memento », et « Un jour sans fin ».

    Très bonne illustration du solipsisme « Un jour sans fin ». Rien à voir avec « Matrix » qui s’appuie sur un autre réel.

    Je reviendrai voir ici de temps en temps s’il y a un echo.

    • Daukane dit :

      Voir les vidéos sur la physique du temps d’Etienne Klein.

      • Mambalek dit :

        Déjà vu. Mais de mémoire, il n’aborde pas… la mémoire justement. Qu’est-ce que le temps, si on part du principe que l’environnement extérieur n’est qu’illusion ? Qu’est-ce que le temps, à l’intérieur ? C’est très lié à la mémoire. Si je n’ai pas de mémoire, il n’y a pas de temps, et accessoirement, pas de pensée, pas de mouvement…

  6. naturel80 dit :

    après avoir la certitude que nous sommes dans une réalité virtuel , nous pouvons donc légitiment nous poser des questions sur son utilité plus par le comment et le pourquoi ! pourquoi nous cacher notre véritable forme sommes nous immatériel pour nous incarner dans de soit disent corps ! pourquoi cette prison pendant une durée limité de notre conscience , une fois je me suis dis que nous pourrions être des entité informe et immortel l’élaboration de monde virtuel pour casser une éternité dans l’optique qui aurait un fin visent à nous inculquer certaine valeur et affects pour nous sentir vivant, avec l’appuis de tout une batterie de sens bien entendu limité pour également un ensemble d’imperfection voulu pour ressentir nos faiblesses tout ca pour ca , ci enfin de compte hors ce monde virtuel nous étions seul ! et que le but de ce monde virtuel était là pour nous réunir !

  7. naturel80 dit :

    je sens que nous sommes dans un monde virtuel dont nos sens sont belle et bien piéger, également notre conscience également nos pensées qui n’accepte pas cette réalité imposer alors pourquoi dans notre fort intérieur nos le savons nous ne sommes pas ici chez nous…………….

  8. sylvain dit :

    « Dans le royaume des cieux, tout est en tout, tout est un, et tout est à nous. »

    Eckhart von Hochheim

    « Vous seul existez. En vérité, vous êtes contenu en chaque chose, vous êtes Cela même. Dans l’infini il n’y a que Lui, Seul Je suis. »

    L’enseignement de Mâ Anandamayî

    « La personne n’est en réalité que « persona », masque, cependant elle est devenue synonyme de l’idée d’individu, d’une entité séparée et continue. »

    Jean Klein, Qui suis-je ? : la quête du sacrée, p. 24

    « Avant qu’Abraham fut, Je suis »

    Jésus, Jean, 8, 58

    . « La loi de causalité apparaît […] comme une règle expérimentale qui attache les unes aux autres nos diverses perceptions propres ; mais sans que nous puissions naturellement jamais savoir si, l’instant d’après, la chaîne ne sera pas rompue. Nous devons donc, à vrai dire, nous attendre constamment à quelque prodige.
    Que le prodige se laisse très bien concevoir et imaginer, nous nous sommes déjà expliqués là-dessus en commençant et nous pouvons effectivement en avoir l’expérience dans nos rêves de chaque nuit. Si nous voulons cependant continuer à être logiques, il nous faut aller plus loin et avouer que le rêve ne se distingue, en général, en rien de la réalité, par aucun signe caractéristique. La loi de causalité ne peut ici nous servir de rien, car elle ne saurait y posséder plus qu’ailleurs une valeur sans limite et, à regarder les choses de près, il est fort possible d’avoir en rêve des perceptions causalement coordonnées. La force des perceptions ne saurait être, elle non plus, un signe décisif, car il est notoire que certains rêves font sur l’âme une impression à peine plus faible que celles des réalités. Qui donc, en me lisant, peut démontrer qu’il me lit autrement qu’en rêve ? Que l’on ne dise pas davantage qu’un songe se manifeste comme tel par son interruption soudaine au réveil. On peut aussi rêver que l’on s’éveille et pourtant continuer de rêver. Il pourrait fort bien arriver qu’une personne eût régulièrement, chaque nuit, un songe qui fût causalement la suite du songe fait la nuit précédente. Un pauvre être de cette sorte mènerait une vie en partie double et ne saurait jamais, avec quelque certitude, de quel côté la réalité se trouve et de quel côté le rêve. Nous le voyons, à s’en tenir à la pure logique, tout le système philosophique ordinairement désigné sous le nom de « solipsisme » ne peut être en défaut sur aucun point. »

    Max Planck, Initiations à la physique, 1934, Chapitre V, § 2, tr. fr. J. du Plessis de Grenédan, Champs Flammarion, 1993, p. 100.

  9. Habib dit :

    Je pense que l’univers se trouve seulement dans notre conscience et il du domaine de la pensée et n’est pas quelque chose qui est à l’extérieur de moi mais il fait partie de moi c’est peut être moi même c’est moi que je suis un rêve qui pense être réel.

  10. hamidalacouscousierre dit :

    Je suis d’accord avec Mambalek, je m’en blc

  11. azrau dit :

    je crois que gorgias veut dire qu’il faut conter sur soi i même

  12. Loste dit :

    Complètement d accord avec la vision du solipsisme. Même si d un point de vue pratique il est un peu compliqué de vivre avec cette idée. Pourtant je reste persuadée que rien n existe par de la la conscience que j en ai. Et il s avére que cette conscience, mon esprit, sont mouvants . Un peu a l image du vent. Il m apparaît que ce qui se rapporoche le plus du solipsisme est le bouddhisme …avec l impermanence.
    Une réalité n est que la fixation de notre mental. Cela cree un espace et un temps. En somme des limites qui nous rassurent. Or toute fixation mentale finit par céder.
    Et c est là tout le drame de l homme qui s evertu dès lors a « refixer » ce qui est déjà parti.

  13. amawalpe dit :

    Le monde perçu ( le monde « réel » ) est de même nature que nos rêves.

    Son essence est vide et il n’existe pas d’extérieur. Réaliser cette vacuité permet d’intégrer qu’il n’y a rien à fuir et nulle part où fuir. Il n’y a pas de libération individuelle.

    Le monde perçu est bloqué face à une unique frontière infranchissable : nos réseaux de neurone. Au delà, rien n’existe. Nous avons nos sensations comme ultime existence face à la vacuité :

    Tout n’est qu’illusion. Seul compte l’Élan du Cœur

    Nos souffrances existent bien. Nous sommes peu nombreux à avoir intégrer que la principale lutte à mener est celle contre les souffrances. Nous sommes encore moins nombreux à être suffisamment forts pour s’impliquer. Comme les autres sont ignorants ou faibles, nous sommes les seuls à être responsables. Chacun de nous peut porter sa responsabilité. Notre responsabilité nécessite de l’abnégation et des sacrifices. Nous pouvons décider de consacrer notre vie à réduire ces souffrances. Ces souffrances sont multiformes et ont lieu à de multiples niveaux et échelles allant du plus petit groupe ( couple, famille, amis… ) au plus large ( société, pays …).

    Nous sommes les seuls responsables car les autres sont trop faibles. Nous sommes les seuls qui puissions prendre le contrôle. Pour prendre le contrôle, il faut devenir forts.

    Nous pouvons choisir de devenir forts.
    Nous pouvons devenir forts en contrôlant nos pulsions et nos instincts.

    Nous pouvons ne pas nous complaire dans l’auto-contentement ni dans les plaisirs impulsifs qui inondent la classe populaire. Nous pouvons sortir du paradigme hédoniste dicté par les décharges de dopamine. La force est la capacité à transcender son instinct. (Boire, manger, baiser, fumer).

    Notre esprit doit s’exprimer au delà du matérialisme. Nous pouvons transcender notre instinct. Nous pouvons dépasser nos biais cognitifs pour nous rapprocher de la réalité. Nous voulons penser des trucs vrais et authentiques.

    Nous devenons fort en inscrivant clairement notre responsabilité dans la société. Nous ne pouvons pas nous renfermer sur nous-mêmes dans une vision nihiliste d’un monde vide de sens. Nous pouvons exposer notre vision à la communauté et développer nos réseaux d’influence. Comme la société est une composition de structures hiérarchiques dans tous les domaines, l’homme devient fort en actionnant une stratégie intelligente pour développer son évolution hiérarchique. Il s’adapte en permanence pour maximiser ses performances.

    Il faut rentrer dans le lard de la société pour la changer.

    Quand on a une attitude de bienveillance vis-à-vis des autres êtres sensibles assez constante, on entre dans un courant de positivité envers les autres, en dépit de tous leurs défauts et des nôtres, et de toutes les complications qui s’en suivent et viennent tester notre patience. L’expérience de soi et des autres commence à être imprégnée de quelque chose qui transcende les deux sans annuler ni nier l’un ou l’autre à son propre niveau. La distinction n’est plus absolue, la tension entre soi et autre diminue, faisant partie d’un cadre plus grand de réalité. On voit que prendre quelque-chose pour soi ou le donner ne fait pas grande différence, on peut donc simplement donner la chose tout à fait librement et gaiement. Toutes les entités de la réalité n’ont pas d’origine. Les gens, il faut dire peuvent être très pénibles, bêtes, faibles et malavisés. Le danger est d’abandonner l’effort vers la recherche personnel d’une sorte d’éveil inutile pour soi-même.

    L’essentiel est invisible pour les yeux.
    On ne voit bien qu’avec le cœur.

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